Comprendre la guerre des monnaies
Le dollar reste roi malgré la création de l’euro en 1999. Crédit Photo : PHILIPPE DESMAZES/AFP
FOCUS - La «guerre des monnaies» est au centre des préoccupations des têtes dirigeantes du monde. Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi ? Qui sont les gagnants et les perdants ? Explications.
Il n’y a pas de sang dans cette guerre là, si tant est qu’on peut l’appeler «guerre». En tout cas, ce conflit international dure depuis des siècles: l’arme de la dévaluation compétitive est facile à utiliser, a priori très bénéfique pour celui qui l’enclenche, mais c’est aussi une attaque pour l’économie de tous les autres pays. Le pire des risques serait que tous les autres pays ripostent à une dévaluation par une dévaluation. Le commerce mondial perdrait son peu d’équilibre, et les sirènes d’alarme de l’hyper-inflation rugiraient. Une situation qu’aucun des pays du monde, développés, émergents ou en développement ne saurait (ré)expérimenter. Explications.
• La «guerre des monnaies», ça veut dire quoi?
La «guerre des monnaies», ou «guerre des devises», ou «guerre des changes» est la bataille que se livrent les pays du monde entier pour être le plus compétitif possible, via des politiques économiques - notamment monétaires - qui leur permet de baisser le niveau de leur monnaie nationale par rapport aux autres monnaies. En réalité, il s’agit de pratiquer ce que l’on appelle une dévaluation compétitive.
• Pourquoi parle-t-on de «guerre»?
C’est le ministre brésilien des Finances Guido Mantega, qui, le 27 septembre 2010, excédé par le real brésilien trop fort qui plombe son économie, a parlé de «guerre des changes». Quoiqu’exagéré, le terme a eu d’emblée un succès international et médiatique. En réalité, la dévaluation existe depuis plusieurs siècles et, dans l’histoire économique du monde, l’utilisation de cette arme était... monnaie courante.
» À lire: Huit leçons d’histoire économique, Jean-Marc Daniel (Odile Jacob)
• Pourquoi est-ce si avantageux d’avoir une monnaie faible?
Parce qu’une monnaie faible par rapport aux autres favorise les exportations d’un pays . D’un autre côté, les importations deviennent plus chères, ce qui poussent les ménages à consommer «maison», mais plus cher (la dévaluation est une forme de protectionnisme). Au final, l’industrie domestique est dopée, enclenchant un cercle vertueux de croissance économique, de consommation, d’emploi et in fine de recettes publiques.
• Pourquoi dévaluer est source de conflit international?
Un pays qui dévalue unilatéralement et fortement sa monnaie renforce son économie au détriment de l’emploi dans les autres pays. Cela crée un déséquilibre du commerce mondial que dénoncent ces autres pays, tentés de faire pareil. Si tout le monde dévalue ainsi (à ce moment là, on peut parler de «guerre»), primo, cela annule les effets positifs de la dévaluation, et in fine, ne resteront plus que les inconvénients d’une telle manœuvre, à savoir de la création monétaire massive qui entraîne une hausse mondiale des prix. Or, l’inflation non maîtrisable est devenue une phobie pour la planète économie: l’histoire a prouvé que l’hyper-inflation pousse à la révolte sociale (davantage encore que le chômage), et parfois conduit à la -vraie- guerre.
• Quels sont les pays qui ont tendance à manipuler leur monnaie?
Certains pays maintiennent artificiellement - de manière plus ou moins assumée - leur monnaie à un niveau relativement bas malgré une bonne santé économique; comme la Chine avec son yuan, que l’État contrôle. C’est le cas d’autres pays asiatiques comme Hong Kong ou Singapour. Figurent aussi, dans la liste des pays qui opèrent pour que leur monnaie ne se renforce pas trop, les pays producteurs de pétrole et de gaz, comme l’Arabie saoudite ou la Russie. Dans un autre registre, laSuisse, avec son franc très recherché car très sûr, n’hésite pas à intervenir franchement pour protéger son économie. Dans un même contexte de monnaie trop forte car «refuge», le Japon (3e puissance économique dans le monde) a récemment fait chuter son yen - de manière forte et inattendue - pour (enfin) sortir son économie de sa «trappe à liquidités»: vingt ans de stagnation de la croissance et de déflation destructrice de richesse. Une bombe: Tokyo a dès lors réenclenché le houleux débat sur la «guerre des monnaies».
• Et les États-Unis?
Les États-Unis manipulent aussi leur monnaie, autant qu’ils le peuvent. Ainsi font-ils en sorte de maintenir un dollar relativement faible (mais pas trop, au risque de perdre la suprématie du billet vert) pour - sinon sauver - soutenir leur propre croissance, et partant, celle du reste du monde. Pour cela, la Réserve fédérale (Fed) - comme vient de le faire le Japon - injecte des quantités astronomiques de dollars (les fameux quantitative easing 1, 2 et 3) dans l’économie en maintenant des taux d’intérêts quasi-nuls, pour perfuser en permanence l’investissement, l’emploi et la consommation des Américains. Cela permet enfin aux États-Unis de vivre au dessus de leurs moyens, avec ses déficits publics et sa dette colossale, qui ne cessent de se creuser dangereusement.
» A lire: Petites et grandes histoires des monnaies, de Jacques Trauman et Jacques Gravereau (Eyrolles)
• Pourquoi la zone euro reste immobile?
Dans cette «guerre», l’union monétaire européenne adopte la stratégie du pacifisme. En réalité, elle n’a pas le choix, puisque sa banque centrale, la BCE, focalise son attention sur les déficits publics, la dette publique et l’inflation. Elle n’a pas d’objectif de croissance économique (contrairement à la Fed), qui pourrait l’inciter à «jouer» sur l’euro pour l’atteindre. Résultat, l’euro est plutôt fort, notamment par rapport au dollar (il faut environ 1,35 euro pour avoir un seul dollar, tout de même loin du change à 1,60 connu mi-2008): il est selon l’indice Big Mac, surévalué de 11,7%. De quoi pénaliser l’économie de la zone euro, fragilisée par une crise industrielle et des mesures d’austérité pour contenir les finances publiques.
• Que faire pour assainir les relations monétaires internationales?
Déjà, arrêter de parler de «guerre». Le message général des têtes têtes dirigeantes des pays les plus industrialisés du monde reste: «il faut éviter les dévaluations compétitives de monnaies» et poursuivre l’engagement des pays «à l’égard des taux de change déterminés par le marché». La situation actuelle est moins pire qu’il y a trois ans, quand Chine et États-Unis se sont affrontésviolamment et publiquement sur le yuan et le dollar. Depuis la Chine a consenti à relever -doucement mais sûrement - sa monnaie.
Après la fin des accords de Bretton Woods (de 1944 à 1973), les accords du Plaza (1985) contre la fambée du dollar en 1985, et puis ceux du Louvre (1987) pour en finir avec les interventions et la volatilité sur le marché des changes, la France a lancé le G20 en 2008, notamment dans l’idée de trouver une alternative à la suprématie exagérée du dollar, qui depuis 1971, n’est plus convertible en or. Le dollar reste roi malgré la création de l’euro en 1999, ce qui autorise les États-Unis à tant d’indiscipline au prétexte de sauver le commerce mondial.
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